samedi 19 janvier 2013

Le pactole de Bárcenas et les larmes de crocodile de Santamaría

Il y a des éléments incontournables dans une rédaction. Ils sont là et créent une ambiance comme on n'en voit dans aucun autre bureau. En effet, quel open-space peut à la fois compter des débats incessants, des coups de fil soudains, des scoops criés à la volée et des moments de speed dont on ne sait, au juste, s'ils servent à grappiller quelques points d'audience ou à maintenir vive la concentration de toute l'équipe face à l'actualité brûlante ?

Dans la rédaction, il y a aussi impérativement une télévision branchée sur la chaîne info. Là où j'ai travaillé environ un an, c'était le canal 24 horas de la télévision publique. Et là où je n'avais pas de chance, c'est que la télévision était juste à côté de mon petit coin de bureau. J'avais donc dû m'habituer à ce qu'on ordonne systématiquement à ma gueule de changer de chaîne ou de baisser le son, qu'on s'asseye crânement sur mon bureau pour suivre n'importe quelle broutille en direct et je devais suivre malgré moi nombre d’évènements, qu'il s'agisse d'une conférence en direct ou d'un match Real Madrid contre Atlético.

Ne plus travailler dans cette rédaction a donc d'abord été un soulagement pour mes oreilles. J'ai deux souvenirs auditifs particulièrement pénibles de cette télévision : la soirée des élections de novembre 2011 et les quelques conférences de presse post-conseil des ministres que j'ai dû suivre en live.

Actor's studio

La soirée élections, passons, même si le dégoût provoqué par la vision de cette bande de mafieux à la fenêtre de leur parti, acclamée par des milliers de fans idiots, m'est resté en travers de la gorge pour longtemps. Au fond, c'était beaucoup moins pire que de supporter ces vendredis funestes où nous devions écouter une certaine Soraya Sáenz de Santamaría égrener les mauvaises nouvelles pour la grande majorité des Espagnols qui n'a pas causé la crise que vit le pays.

Il y a quelques petites choses à savoir sur cette femme. Elle n'aurait eu aucun avenir politique si ce n'était pour Mariano Rajoy, qui l'a protégée et a assuré son ascension au sein du Congrès. En présentant son gouvernement, en 2011, le président lui donne la vice-présidence, le ministère de la présidence, le porte-parolat de l'équipe gouvernementale et les clés de la sécurité intérieure. On crée alors le Service national de l'intelligence, qui réunit tous les services secrets espagnols en une entité dirigée par... la Santamaría.
Autant dire que de rien, Soraya est devenue tout et paraît parfois avoir même plus d'importance que le président Rajoy lui-même, tant elle semble sur le front de la politique gouvernementale.

Or, il faut la voir et l'écouter : elle est petite, a un défaut de locution qui rend son discours rapidement irritant, et le fait qu'elle est devenue, en quelques mois, une Cassandre porteuse de mauvaises nouvelles incessantes a fini par donner la tentation de tirer sur le messager.

Cela faisait déjà des mois que je n'avais plus à la supporter quand, d'un coup d'un seul, la voilà de retour avec une mesure propre à réanimer les plus découragés. Le gouvernement, dans sa plus grande fermeté, a imposé ses conditions aux banques. Contre le scandale des 500 expulsions quotidiennes en Espagne, le gouvernement frappe du poing sur la table. On s'attendait donc à de bonnes nouvelles, on apprend finalement que seuls 6000 logements seront mis à disposition des familles expulsées par les banques qui participent au projet. Elles y gagneront un loyer compris entre 150 et 400 euros par mois, tandis que plus de 100.000 familles resteront sans possibilités de se loger. 

En créant un tel plan, non seulement le gouvernement montre combien le droit au logement est le cadet de ses soucis, mais il le fait de la façon la plus cynique possible : avec charité et humilité, en y ajoutant une bonne dose de sentimentalisme à travers, comme vous l'aurez deviné, la porte-parole du gouvernement. J'ai découvert, hier, une Soraya inconnue, le cœur sur la main, qui semble prendre conscience de l'extrême gravité de la situation de certaines familles sans toit et qui montre qu'avant d'être politique, elle est femme et mère capable d'empathie. Un grand numéro d'Actor's studio, je crois que je n'avais jamais vu de discours politique aussi ridicule de ma vie : 


Je vous invite à écouter lorsque, après de longues minutes de discours digne de faire pleurer dans les chaumières, la Soraya, à 2.35' exactement, commence à dire : "Il arrive parfois qu'un gouvernement se mette à faire du sentiment ; personnellement, je ne le ferai pas." Silence du public, qui devient vite un rire général. Dans des circonstances qui se devaient d'être graves, comment les journalistes peuvent-ils se mettre à pouffer ? Tout simplement de gêne face à un spectacle si peu crédible. La ministre s'en rend bien compte, puisqu'elle se contredit immédiatement après en affirmant : "certains diront que j'en fais, du sentiment. Eh bien oui, parce que cela peut nous arriver à tous". Soraya revient à sa stratégie de la porteuse de mauvaises nouvelles : si je n'arrive pas à vous émouvoir, au moins tenterai-je de vous faire peur en vous faisant penser que vous n'êtes pas protégés de la crise, tout journalistes que vous êtes.

Tomber et succomber

Soyons donc un peu sérieux : 6.000 logements, en pleine débâcle économique et avec un parc immobilier des plus inoccupés, c'est dérisoire. Surtout que Soraya Sáenz de Santamaría n'a vraiment pas de chance : son discours sentimental intervient au moment même où se fait à jour un des plus gros scandales politiques potentiels de la démocratie espagnole. 


22 millions d'euros : on le sait, c'est déjà prouvé alors que l'enquête suit encore son cours, l'ex-trésorier du Parti populaire Luis Bárcenas disposait de 22 millions d'euros sur un compte en Suisse. Argent dont on ne connaît pas l'origine, mais qui doit bien avoir été soutiré grâce des commissions occultes, des primes invisibles et des histoires louches de salaires 'gonflés' qui pourraient éclabousser toutes les figures importantes du PP. De quoi embarrasser le gouvernement pour toute l'année 2013, vu que tout le parti n'a cessé de défendre depuis 2009 "l'innocent" Luis Bárcenas, Rajoy en tête, contre les supposées griffes du célèbre juge Baltasar Garzón, qui instruisait l'enquête et a finalement été suspendu de ses fonctions en 2012 par une justice plus prompte à attaquer les juges honnêtes que les politiques corrompus.

Peu importe, en fait, les plans comm' du gouvernement, les Soraya Mère Teresa et les Rajoy honorables : tout cela sera balayé par un scandale ou l'autre. Le gouvernement entame sa deuxième année plus en danger, plus incertain de son avenir et plus impuissant que jamais. Son destin est manifeste : rompre, se dissoudre, tomber et succomber avec douleur. Seul.

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