mercredi 27 mars 2013

Sollicitations intempestives

Vous les voyez de loin, à essayer d'attirer l'attention des passants. Vous voudriez vous-même faire marche arrière, mais vous devez avancer car le retard menace, vous pourriez ne pas être à l'heure à l'endroit où vous vous dirigez. Votre esprit confus cherche alors une solution : marcher plus vite, garder les yeux rivés sur votre portable ou tout simplement faire celui qui ne les a pas vus ? Mais plus vous tentez de trouver une solution et plus vous devrez prendre conscience que de solutions, il n'y en a pas. Cela ne dépend pas de vous. 

Ils sont souvent deux ou trois, en tenue de travail, gilet aux couleurs criardes portant le nom d'une ONG. Ils s'adressent à vous avec toute l'amabilité du monde, et vous aimeriez tellement leur rendre la pareille, mais ce n'est pas possible. Parce que quand on en voit un, on veut peut-être bien, mais quand on en a vu mille, on fuit. Ces fameux 'ambassadeurs' de la bonne cause, travailleurs du cœur dont le job est de collecter des sous pour des associations, sont malheureusement devenus à mes yeux des sangsues à la recherche du moindre petit euro. 

Ça avait pourtant bien commencé. Un ami que je croise à Paris, il y a sûrement plus de cinq ans, et qui vendait des formules de Médecins sans Frontières avec lesquelles on pouvait désormais laisser l'ONG prélever automatiquement 1 euro par semaine sur son compte. Une idée qui me paraissait ingénieuse à l'époque, j'acceptai donc avec enthousiasme, pensant en plus que si cela permet à un ami de gagner sa prime, pourquoi pas.

Des grappilleurs qui ont préféré rester anonymes
Aujourd'hui encore, je donne à Médecins sans Frontières, et je me disais que ma B.A. s'arrêterait là. Jusqu'à ce qu'apparaissent les jeunes collecteurs pour ONG de Madrid. Il y en avait quelques-uns à mon arrivée, on les voyait surtout dans le centre, les zones un peu touristiques, les rues commerçantes. Mais depuis un certain temps indéfini, ils ont pris la place. On ne les a pas vus venir, les voilà aujourd'hui partout. Je ne sais pas s'ils se multiplient entre eux, mais aujourd'hui ils vous abordent au milieu d'un long couloir de métro, dans les quartiers d'affaires, devant le Starbucks, bref, donnez-leur trois badauds et les voilà déjà à vous mettre le stylo dans la main pour signer une promesse de don.

Et leurs techniques sont imparables. Quand vous pensez naïvement qu'ils vont vous lâcher la grappe lorsque vous leur montrez clairement que vous n'avez pas le temps, ils se mettent à vous suivre à toute allure pour vous poser une question bête, histoire de vous faire répondre et vous forcer discrètement à vous arrêter. 

C'est une de leurs techniques, avec celle du sourire à un million de dollars, de la tête penchée à droite ou pire, celle du toucher d'épaule pour vous retenir. En espagnol, on l'appelle captador de socio, et un "capteur de membres", ça capte bien.

Soutirer

Calle Ourense, à Nuevos Ministerios, une de celles qui récoltaient pour la Croix-Rouge a réussi à m'avoir l'hiver dernier. Je ne sais pas vraiment comment ça s'est passé, mais elle avait l'air suffisamment sympathique pour que je m'arrête. Suffisamment désemparée pour que je l'écoute me dire que la Croix-Rouge est une des ONG les plus importantes d'Espagne, mais qu'elle avait perdu un tiers de ses ressources depuis 2007 alors que le nombre d'assistés a, lui, augmenté de 25%. Suffisamment convaincante pour qu'elle obtienne mon engagement de payer 50 euros par trimestre (j'ai négocié car elle voulait absolument me soutirer 70 euros). 

Donc voilà : après Médecins du Monde, je donne désormais à la Croix-Rouge. Et ça s'arrête là, mes revenus actuels ne me permettant pas beaucoup plus pour la B.A. Mais le cauchemar ne s'arrête pas là, puisque les recherche-donateurs existent toujours. Alors, j'ai réussi à développer mes petites techniques pour ne pas avoir à les écouter sans pour autant être malpoli (c'est possible). 

Premièrement, à tous ceux qui arborent un gilet ressemblant de près ou de loin à celui de Médecins sans Frontières, je leur dis avant même qu'ils ne m'abordent que je donne déjà. D'un air sous-entendu, du style "oubliez-moi les gars". Ça marche normalement très bien, sauf avec les quelques relous qui demandent si, justement, vous ne voulez pas donner plus. Je le dis donc à presque tous ceux qui m'abordent, qu'ils représentent Médecins sans Frontières ou non. 

Puis, il y a ceux qui arrivent de nulle part, c'est difficile de préparer son excuse toute trouvée avec eux parce qu'ils viennent en te posant une question qui leur permet d'éviter ton refus. Alors, tu te mets à parler, à écouter surtout, et tu attends le meilleur moment pour lui dire non. Avec certains, c'est du gâteau, avec d'autres, très malaisé. Il y a un petit gars qui collecte pour Médecins du Monde à Nuevos Ministerios qui est d'ailleurs particulièrement malin, je jurerais qu'il fait du théâtre ou du droit tant il a la tchatche. Tes arguments, il les balance d'un revers de la main en te rappelant combien la charité est un devoir essentiel pour chacun. 
J'ai donc dû sortir mon joker avec lui : je donne déjà beaucoup chaque mois à deux ONG, je ne peux pas donner à trois. "Sottises", me dit-il, arguant que je pouvais bien donner un peu moins aux deux ONG pour réserver une partie de mes sous à la sienne. Le procédé était tellement infect que a m'a paru pas mal de le laisser planté là.

J'en suis devenu un peu amer et, en en parlant autour de moi, je me rends compte que je ne suis pas le seul. J'ai d'ailleurs encore eu une mauvaise expérience, avec une autre d'Oxfam cette fois-là, qui te dépliait la brochure pour te montrer de pauvres enfants mourant de faim. Elle, elle a clairement sorti son formulaire sans mon accord et cherché à soutirer mes infos personnelles alors que je refusais. Pour faire court avec elle, mieux valait mentir : j'ai sorti n'importe quoi et me suis inventé des infos faites d'adresses e-mail mélangées, d'adresses postales presque parisiennes et de numéros de téléphone hasardeux. Je me suis senti un peu coupable d'avoir menti, mais finalement, j'ai oublié.

Il y a une chose, en tout cas, que cette histoire de grappilleurs révèle bien : la faiblesse des ONG en Espagne depuis 2012, toutes confrontées à une hausse de la demande alors que les dons s'amenuisent. L'argent vient à manquer, une étude menée fin 2012 par Adecco expliquait d'ailleurs que "ONG et entités à but non lucratif se voient actuellement obligées de rehausser leurs efforts pour attirer les dons du secteur privé et des particuliers". Ajoutez à cela deux menaces, l'appauvrissement généralisé actuel en Espagne (18 millions de pauvres dans dix ans selon Oxfam) et le fait que l'Union Européenne compte toujours réduire son programme d'aide aux plus démunis en 2013, vous obtenez un cocktail pour le moins explosif qu'il faudra veiller à ne pas trop agiter.

vendredi 15 mars 2013

La longue absence et la Cour européenne de justice

Un court message pour m'excuser d'avoir disparu du blog depuis maintenant un mois, même si quelques raisons personnelles expliquent une si longue absence. Je reviens doucement vers les études tandis que les cours de français se multiplient, c'est assez difficile de jongler avec deux activités si différentes. Mais je continue à voir, entendre, lire et apprécier des choses qui me donnent envie d'écrire par ici.

Dernière en date : hier, c'est finalement la Cour européenne de justice qui a tranché sec dans les ambitions du gouvernement. Parce qu'on les voyait venir, ces fourbes de l'exécutif, tentant par tous les moyens de mettre un frein à la volonté populaire. Celle-là même qui avait permis de recueillir un million et demi de signatures pour soumettre au Congrès une initiative populaire mettant fin aux expulsions abusives. Décision de haute importance qui était jusqu'ici bloquée par le gouvernement lui-même.

Une telle réforme de la loi permettrait d'en finir avec certaines pratiques abusives des banques espagnoles, qui peuvent récupérer un bien immobilier en cas de non paiement de mensualités, tout en continuant bien sûr de réclamer le reste de la dette grâce à des clauses qui avaient été indiquées en lettres microscopiques dans un contrat de prêt hypothécaire à n'en plus finir. Seul un juge décide dans de tels cas, et la loi est jusqu'à maintenant en faveur de la banque, puisqu'elle ne permet même pas au juge de lever l'ordre d'expulsion.

Mariano Rajoy lui-même se déclarait contre tout changement de la loi hypothécaire, arguant que cela rendrait l'accès au crédit plus cher. Raisons des plus connes, en tout cas selon n'importe qui ayant un tant soit peu d'empathie pour ceux qui se retrouvent sans toit du jour au lendemain. 
Mais donc voilà : c'est le grand juge européen qui a la primauté si une loi nationale contredit la loi européenne. Or, la loi hypothécaire espagnole ne respecte ni les droits des consommateurs, qui devraient avoir les moyens légaux de contester, ni le fait que le juge doive pouvoir considérer certaines clauses abusives pour empêcher une expulsion. La cour européenne de justice donne même aux juges espagnols le détail de ce qu'ils peuvent considérer comme abusif, et cela promet d'obliger les banques à revoir de fond en comble leur politique de crédit.

La décision de la Cour du Luxembourg a fait l'effet d'une bombe hier, et a poussé le gouvernement à changer de discours. Curieusement, la loi inchangeable d'hier est devenue aujourd'hui celle qu'il faut réformer en urgence, a dit un Rajoy gelé sous la neige.

A l'origine de toute cette histoire, il y a un homme et son avocat. Mohamed Aziz (l'homme) et Dionisio Moreno (l'avocat) ont bataillé depuis 2008 pour que Caixa Tarragona cesse de réclamer à plus de 40.000 euros de dette pour des intérêts de 18% dus au non paiement des mensualités. Cela les a menés jusqu'au Luxembourg et au changement d'une loi injuste. Comme quoi, garantir la démocratie et le droits des personnes ne peut que passer par la justice. Dans cette histoire, un seul homme a pu obtenir ce qu'un million et demi de personnes n'avait pu arracher d'un Congrès couard et d'un gouvernement frileux.